Le chant grégorien hier et aujourd’hui

Chant grégorien - moinePar Alain Chobert, maître de chapelle de la cathédrale de Dijon

Aperçu historique

Dans ses éléments primitifs, le chant grégorien est bien antérieur à saint Grégoire qui vécut au VIe siècle. Les hymnes les plus anciennes, certains récitatifs des lectures, le chant de la Préface et du Pater, les mélodies les plus simples du Gloria et du Sanctus peuvent être rapprochés des chants de la synagogue et remonteraient aux tout premiers siècles. On peut dater du IVe siècle quelques répons brefs et quelques antiennes.
De la liturgie juive, le chant grégorien a retenu plusieurs formules de psalmodie, entre autres celle du Te Deum, des répons comme l’In manus tuas, des vocalises comme celle de Haec dies du jour de Pâques.
« Parmi les motifs des plus vieilles mélopées liturgiques conservées dans la tradition grégorienne, il y en a, et plus peut-être qu’on ne pense, que Jésus a entendus, a goûtés, a chantés. » (Gastoué, L’Église et la musique)

Du Ve au VIIe siècle, les saints papes Gélase, Léon et Grégoire, organisent et enrichissent le service divin. La liturgie connaît un âge d’or. C’est aussi l’époque de saint Benoît (547). Et, aux siècles suivants, le clergé romain se recrutera pour une bonne part dans les monastères bénédictins.
La réforme liturgique de saint Grégoire, pape de 590 à 604, suppose un répertoire étendu. La technique s’est enrichie et l’ensemble du chant sacré présente une perfection achevée. Depuis le IVe siècle, l’art de la vocalise s’est beaucoup développé. Du VIIIe au XIe siècle, les écoles de chant de l’abbaye de Saint-Gall (Suisse) et de la cathédrale de Metz transmettent les meilleures traditions.

Au IXe siècle, on se plaît à donner au chant sacré le nom du pape saint Grégoire ; et c’est ainsi que le chant liturgique devient le chant grégorien.
Jusqu’au XIe siècle, la transmission du répertoire est uniquement orale. Mais bientôt, des scribes anonymes vont s’appliquer à fixer sur le parchemin les fruits d’une tradition déjà longue. Ceux de leurs manuscrits que nous possédons (800 documents) remontent à un modèle de la fin du VIIIe siècle. Pour rappeler à la mémoire du chantre les intervalles et la manière de traiter une syllabe, des points, des accents et des lettres ont été placés au-dessus du texte, puis sur des lignes et entre les lignes. Pour chaque syllabe, les signes sont groupés en « neumes » de deux, trois ou plusieurs notes. La notation des neumes sur quatre lignes, attribuée à Guy d’Arezzo (+1050) permet d’indiquer avec précision tous les intervalles.
Au Xe siècle, un moine de St-Gall nommé Notker, passe trente ans dans une cellule de reclus à écrire un manuscrit de l’Antiphonaire qui nous est des plus précieux pour retrouver la tradition mélodique, neumatique et rythmique. L’ensemble de ces signes facilite l’unité vivante du chœur. Mais les nuances ainsi discrètement suggérées ne sont pas comprises par tous. Dès le XIIIe siècle, les négligences dans la transcription se manifestent dans l’exécution.

Les siècles suivants se signalent par leurs hérésies anti-grégoriennes. Au XIVe et au XVIe siècle, l’accent latin perd son élasticité pour devenir lourd et intensif. On divise le temps simple en longues et en brèves. Au XVIIe siècle, on admet les barres de mesure, la syncope, le mélange des noires et des blanches. On introduit la sensible dans certaines cadences. On ampute les vocalises qui deviennent méconnaissables.
Au XIXe siècle, la redécouverte du chant grégorien commence avec Dom Guéranger. En 1840, dans son ouvrage des « Institutions liturgiques », l’abbé de Solesmes pose le principe d’un authentique retour à la pureté des mélodies, par l’étude scientifique des plus anciens manuscrits ce qui marque un tournant dans l’histoire du chant liturgique.

Le chant grégorien dans la liturgie aujourd’hui

Le Motu proprio de saint Pie X du 22 novembre 1903, concevait le chant grégorien comme expression officielle de la prière chantée de l’Église. Et le concile Vatican II (1962-1965) demandait que « tout le trésor de la musique sacrée soit conservé et cultivé avec la plus grande sollicitude. » Même si « l’Église approuve toutes les formes d’art véritables, si elles sont dotées des qualités requises [c’est à dire en connexion étroite avec le rite liturgique, en donnant à la prière une expression plus suave, en favorisant l’unanimité ou en rendant les rites sacrés plus solennels], et elle les admet dans le culte divin »1, « l’Église reconnaît dans le chant grégorien le chant propre de la liturgie romaine. C’est donc lui qui, dans les actions liturgiques, toutes choses égales par ailleurs, devraient occuper la première place. Les autres genres de musique, et surtout la polyphonie, ne sont nullement exclus de la célébration des offices divins, pourvu qu’ils s’accordent avec l’esprit de l’action liturgique. »

« On en vient ainsi à un point absolument capital de la réflexion à propos du chant liturgique et de sa survie. La musique sacrée semble aujourd’hui appartenir au domaine des professionnels. Ne faudrait-il pas créer, ainsi que le suggère Marcel Pérès, autour de chaque cathédrale, lieu privilégié du déploiement de cérémonies liturgiques, des centres d’apprentissage dans lesquels chacun pourrait trouver auprès de professionnels de la culture liturgique la formation nécessaire afin de mettre en œuvre dans les paroisses le vœu de saint Pie X ? Ce système permettrait sans aucun doute d’éviter le piège de « l’élitisme » et de donner aux assemblées dominicales la place qui leur revient dans la liturgie tout en assurant un service musical bien nécessaire. » (extrait d’un article de Bruno Nougayrède)

Les maîtrises de cathédrales sont des lieux privilégiés où se forge minutieusement le répertoire de l’Église. En effet, la mise en œuvre des grandes pièces grégoriennes ou polyphoniques reste toujours bien délicate et demande une formation musicale et vocale approfondie.
Le grégorien demeure une source permanente d’inspiration pour les musiciens et participe pleinement à la louange divine. Comment concevoir un office sans les improvisations au grand orgue qui précède l’Introït des dimanches ? Comment se passer des antiennes qui préludent aux balancements du psaume des vêpres, des alléluias aux versets mélismatiques qui nous font percevoir un avant-goût de l’éternité ? Comment ne pas être en communion avec l’assemblée pendant le Pange lingua du Jeudi Saint, les versets alternés du Gloria XI et du Credo I, le Veni creator des vêpres de la Pentecôte ?
L’instruction De musica in sacra Liturgia (textes relatifs aux réformes de la musique liturgiques faisant suite au concile Vatican II) classe les différents ministères du chant sous les titres suivants :

  • Le chant est un élément de solennisation.
  • Il donne aux textes une plus grande efficacité.
  • Il entoure de beauté la célébration liturgique.
  • Il est un élément de d’unité de l’assemblée.

« L’instruction souligne bien le service que la musique rend à la liturgie : elle conduit l’homme vers Dieu. Car l’homme, pour ce chemin vers Dieu, a besoin de chant, a besoin de musique : “Quand le poète écrit une hymne, quand le musicien l’habille d’une mélodie, quand le sculpteur taille dans la pierre le sourire d’une sainte femme, ils proclament encore le nom de Dieu.” La liturgie se doit d’utiliser toutes ces valeurs. Elle les sauve toutes en les consacrant à Dieu. » – Lucien Deiss

Toutes ces remarques peuvent s’appliquer au chant grégorien. Le rôle de la maîtrise cathédrale est de tout premier plan pour valoriser le patrimoine musical ancien et en devenir. Le peuple chrétien a toujours eu le culte de la beauté qui est un chemin vers Dieu. Les innombrables cathédrales en témoignent sur le plan de l’architecture; le répertoire grégorien et polyphonique en témoigne sur le plan de la musique.

La véritable culture est celle qui prend son sens dans le mot culte. L’art, et la musique en particulier, ne se situent dans notre authentique culture que dans la mesure où elle nous ouvre à ce culte qui, dès ici-bas, constitue la célébration de la Gloire de Dieu.

– Joseph Samson

 

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  • L’histoire du chant grégorien, chant propre à la liturgie romaine

    L’Eglise romaine, qui n’a pas pris moins de vingt siècles pour opérer un discernement sur l’ensemble des musiques nées de la liturgie, a récemment décidé de reconnaître la valeur du chant grégorien, en l’estampillant du label : « chant propre à la liturgie romaine ». Pourtant, reconnaissons-le, dans la pratique des paroisses, l’usage de ce chant demeure l’exception. Soyons honnêtes : nous boudons le chant grégorien.